Poèmes (2010)

Poèmes (2010)

(soprano solo, chœur mixte, piano)

Commande d’Intermezzo / Création le 14 mars 2010

Quelques mots sur l’œuvre…

Les Fugitifs

Une réflexion au sujet de « Poèmes (2010) »

  1. Notice

    J’ai mis en musique ces Poèmes à la demande de Claire Marchand et de l’ensemble Intermezzo, pour le spectacle Le Chœur et la Diva, et ce contexte m’a bien sûr influencé, qui rend hommage à la poésie et à la musique françaises de la fin du XIXe et de la première moitié du XXe siècle.

    C’est donc exclusivement de la poésie française autour de 1900 que sont issus les cinq poëmes, d’auteurs différents, qui constituent ce cycle. Centré sur la soliste, c’est un peu un Frauenliebe und -leben, évoquant plusieurs moments de vie, mais sans − je l’espère − la mièvrerie de Chamisso*, avec surtout moins de précision dans les états d’âme évoqués**, dans un état d’esprit commun aux générations tournant le dos au romantisme, les Parnassiens, les Symbolistes, et jusqu’aux Surréalistes.

    La formation − soliste et chœur, accompagnés par le piano − a eu beaucoup d’importance dans les choix poétiques. En effet, dans les pièces pour soliste et chœur, en général le premier ne se distingue guère du second que par un effet musical : souvent, le même texte − et la même mélodie − sont annoncés par l’un et repris par l’autre, ou alors le soliste a droit à sa strophe au milieu de la pièce. Au contraire, je souhaitais que le rapport musical des deux ait toujours un sens, que le chœur puisse être, non un écho, mais un personnage, vrai protagoniste, réel ou fantastique, comme une hydre à laquelle fait face la Soprano − dans un rapport toujours dialectique. Seule, la dernière pièce fait exception, la soliste y étant comme fusionnée avec le chœur.

    Quelques mots sur la musique − que l’on me pardonne maintenant d’être parfois trop technique !
    Les Fugitifs, pièce introductive, de tempo grave, émergeant de la nuit − est entièrement écrite sur une suite harmonique faite d’un accord à renversements transposés, avec toujours la même basse, do, et la même note aiguë, mi − comme un carcan faisant sentir l’inquiétude du texte ; ces accords se succèdent comme en une grande chaconne, qui se referme sur elle-même.
    L’Hôte est construit sur une échelle pentatonique ordinaire dans le médium, mais répliquée à l’octave augmentée − vers l’aigu comme vers le grave, en miroir. Ce mode de cinq sons, et son utilisation très mélismatique, la fluidité de son ornementation, est pour moi un souvenir tant de l’Asie − mais plus précisément de la musique d’inspiration indochinoise que firent les Français entre-deux-guerres : Caplet, Delage, Emmanuel après Debussy et Ravel − que des mélopées de la soul music.
    Après cette sorte d’adagio lumineux, Une jeune fille parle est d’abord un scherzo nerveux, dans lequel transparaît plus que dans les autres poèmes mon goût pour les mesures à temps inégaux − presque inexistantes dans notre musique classique à la coupe régulière, elle nous sont revenues par les musiques populaires, notamment des Balkans, et par Stravinski, et par Messiaen…*** Quelques accords obstinés, travaillés en miroir, s’y opposent à des accords de septièmes diminuées − l’accord-miroir par excellence, l’accord-inquiétude du XIXe siècle − lentement superposées (d’abord par deux, formant le mode 2 de Messiaen, puis par trois − le total chromatique) jusqu’à la saturation, lors du geste de folie final.
    La Camarde mise à la raison est comme une marche rapide aux contretemps appuyés − comme un ragtime − une danse de la Mort, martelée par de rudes accords faits de tritons**** superposés, et traités en miroirs… Quand la Camarde parle, c’est nimbée du fantôme du célèbre lied de Schubert*****.
    Scopolamine doit son nom à un médicament, dont la compagne d’Éluard décrit les effets hallucinogènes. C’est la plongée dans un ailleurs fait de quintes, à la sonorité creuse et vaste…

    * L’auteur mis en musique par Schumann.
    ** Verlaine disant bien (Art poétique, in Jadis et Naguère) :

    Il faut aussi que tu n’ailles point
    Choisir tes mots sans quelque méprise :
    Rien de plus cher que la chanson grise
    Où l’Indécis au Précis se joint.

    *** Verlaine, encore (ibidem) :

    De la musique avant toute chose,
    Et pour cela préfère l’Impair […].

    **** Diabolus in musica !
    ***** Der Tod und das Mädchen.

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